Pèlerinage médicéen

Publié le par Jean Pierre Mazille

(0503/2000)

Contexte de ce 503e numéro de "ma" Demoiselle de Chartres : Cette deuxième journée à la cour du Maître de Florence va se continuer par un second pèlerinage à la Nouvelle Sacristie de la Basilique San Lorenzo où reposent entre autres côte à côte les deux frères : Laurent le Magnifique et Julien leur aïeul, des filles Priulli (Mademoiselle de Chartres et sa mère et sa tante vues de Venise).

Cet après-midi, en plus de l’épouse et d’Isabelle, l’une de ses filles, Côme premier accompagnera les trois Vénitiennes dans le chef-d’œuvre de Michel-Ange.

Un contexte toujours pas agréé comme les 1999 autres par Madame de Lafayette, et on le comprend un peu ! (NDLR)

La Nouvelle Sacristie de la Basilique San Lorenzo à Florence

La Nouvelle Sacristie de la Basilique San Lorenzo à Florence

Vue en partie de l’allégorie la Nuit sur le tombeau de Julien

Vue en partie de l’allégorie la Nuit sur le tombeau de Julien

PÈLERINAGE MÉDICÉEN¹

Se tut dès votre entrée la Laus perennis²
Psalmodiée dedans la Sacristie Nouvelle,
Alors tu rêvassas à un bel adonis
Qui jadis enflamma l’azur de ses prunelles³.

Ces yeux qui avaient vu les vôtres ce matin,
Vous sa belle lignée qui naquit à Venise,
Ils avaient rencontré en un âge lointain
Ceux d’un fougueux Julien, emplis de gourmandise.

Près de vous, à côté de son frère Laurent,
En un caisson de pierre4 un bel aïeul repose
Dans la simplicité loin du luxe encombrant
Des deux tombes de marbre aussi à jamais closes.

Tu caressas l’oiseau sous le cul de la Nuit5,
Sur celui de l’Aurore6 aucun autre en otage ;
Et le tien aima peu, fils de Botticelli,
Les deux corps féminins sur les deux sarcophages.

Tu compris qu’un Géant7 malgré tout réussit
Sur sa crypte à produire une pensée complexe,
Quelques membres et yeux restèrent indécis
Pour laisser à raison parfois l’Âme perplexe.

À part la Mort ici, tout est non finito8,
Mais on ne parle là que de quatre sculptures9,
Car le génie de l’Ange allonge d’un manteau
Du ciel noir aux tombeaux sa triste couverture.

Le Seigneur10 de Florence ouvrit un parchemin
Qu’il savait écrit par la vraie main du poète11
Qui conta un amour in fine peu commun
Entre un vainqueur de joute et sa dame parfaite.

Tu les sentis venir et tu avais vu bien
Ces six stances à dire au bon vouloir du Prince
Et ton regard les lut, ce dans un temps de rien
Lui fut rendu l’objet dans ses étonnées pinces12.

Pour ne point craindre adonc13 de réveiller la Nuit14,
Entre les quatre murs ta voix s’éleva douce
Et quarante-huit vers dans l’espace séduit
Firent se refleurir deux féeriques pousses.

Votre pèlerinage allait continuer ;
En sages chandeliers et sans beaucoup d’ivresse
Face au mur de l’autel, et comme statué,
Vous dûtes assister à la troisième messe15.

Dans ces encensements, les filles Priulli
Redoutaient maintenant des défunts : la présence ;
Dans un blanc cénotaphe16 à ras de peine empli,
Monsieur de Chartres, las ! brûlait leurs existences.

Tu avais suscité en beauté son réveil,
La chouette envolée voulut te faire escorte
Avant s’en retourner vers l’éternel sommeil ;
S’enfuirent des suivants par l’une des huit portes17.

Ton épaule permit à l’oiseau un instant
De goûter un autre air, tandis qu’un froid liquide18
Inquiéta les sangs au sol en serpentant,
Sourdant de quelque Styx aux effluves morbides.

Tout est réflexion sur les Éternités
Dans la sombre Chapelle où professent en chaire
Et le Temps qui consume19 et d’autres vérités ;
Fort effarées, vers toi les têtes se tournèrent.

De blondes alchimies pouvaient s’autoriser
En tes si secrets lieux pour ta tendre plaisance
À te découvrir plus aux yeux hypnotisés
De ton souverain Peuple, hermétique Firenze20 !

1— Relatif aux Médicis.
2— Dans une bulle pontificale du 14 novembre 1532, Clément VII institua pour la Nouvelle Sacristie la lecture de la laus perennis, un chant de louange perpétuel ; la totalité des psaumes y était lue jour et nuit pour le salut de l'âme des Médicis qui y avaient leur sépulture.
3— De Simonetta Vespucci, bien entendu.
4— La tombe partagée par Laurent le Magnifique et son frère Julien de Médicis, distincte des tombeaux de part et d’autre d’elle de Laurent, duc d'Urbin et de Julien de Médicis, duc de Nemours, est constitué d'un caisson de pierre, un simple sarcophage placé en regard de l'autel.
5—L’une des deux sculptures au-dessus du tombeau de Julien : l’allégorie de la Nuit, sous la forme d’une femme.
6—L’autre pendant féminin à la Nuit en face au-dessus du tombeau de Laurent : l’allégorie de l’Aurore.
7— Michel Ange.
8—Le non finito ou la logique de l'Inachevé (en sculpture) chez Michel-Ange jouira d’une grande postérité, chez Rodin par exemple.
9—On parle des quatre sculptures allégoriques : le Crépuscule et l’Aurore (sur le sarcophage de Laurenzo, duc d’Urbin) et le Jour et la Nuit (sur le sarcophage de Julien, duc de Nemours) ; la Nuit quasi finie étant la plus aboutie des quatre. Aujourd’hui, une cinquième sculpture répond à cet état, mais ce pèlerinage eut lieu (peut-être) en 1557, et ce n’est que deux ans plus tard a priori que Niccolò Tribolo installa la Madonna col Bambinio (avec les Saints Côme et Damien des Médicis, sculptures finies elles par deux autres artistes ) sur la tombe des « Magnifiques ».
10— Côme premier.
11— Les Stances (Stanze per la giostra) écrites entre 1475 et 1478 par Ange Politien (Agnolo Poliziano), un des joyaux de la littérature italienne, pour célébrer la joute du 28 janvier 1475 au cours de laquelle triompha Julien de Médicis, frère de Laurent dont Simonetta Vespucci fut la "dame ". (cf. le complément)
12—Étonnement peut-être "pince" pouvait remplacer "main" au XVIe siècle, un peu familièrement malgré tout !
13— Michel-Ange à propos de sa Nuit écrivit :
« Le sommeil me plaît, et plus encore ma nature de pierre
Tant que durent le mal et la honte.
Ne pas voir, ne pas sentir, c'est ma grande chance
ne m'éveillez pas. Parlez bas. »
14— Alors.
15— La laus perennis intégrait trois messes quotidiennes.
16— Le corps de Monsieur de Chartres décédé (assassiné ?) sur un bateau en Méditerranée n’avait pas pu être récupéré par sa famille.
17— Aux quatre angles de l’édifice, il y a huit portes de conception égale vraies ou fausses par ailleurs.
18— Avec les quatre allégories placées au-dessus des tombeaux de Julien et de Laurent, quatre Fleuves aussi avaient été pensés par Michel Ange, mais ils ne furent jamais construits ; ces fleuves devaient rappeler l'écoulement permanent et imparable du temps.
19— Le thème de toute la chapelle, tel que rapporté par Ascanio Condivi, est « le temps qui consume le Tout ».
20— Florence.

Fleuve Dieu reposant à terre prévu pour un sarcophage

Fleuve Dieu reposant à terre prévu pour un sarcophage

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Complément

Les Stances pour la joute de Julien de Médicis

d'Ange Politien

Libro I, 43

Candida è ella, e candida la vesta,
ma pur di rose e fior dipinta e d’erba;
lo inanellato crin dall’aurea testa

scende in la fronte umilmente superba.
(…)

Candide elle est, candide est son vêtement
Peint cependant de roses, de fleurs et d'herbes.
Les cheveux annelés de sa tête dorée
Descendent sur son front humblement superbe.
​​​​​​​(traduction Fred Bérence)

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