De quelques dons au Collège royal

Publié le par Jean Pierre Mazille

(0826/2000)

Contexte de ce 826e numéro de "ma" Demoiselle de Chartres : Elle vient de quitter Venise et se réinstalle en France, à Paris en particulier.

Elle a trouvé le temps, rien n’aurait pu l’en empêcher d’ailleurs, d’exaucer le vœu de son père de faire verser quelques-uns de ses livres rares et précieux donc, souvent des manuscrits, à la bibliothèque du Collège Royal de son ami Guillaume Budé son fondateur et celui qui le forma dans sa jeunesse entre autres en latin, grec et hébreux.

En fait, ce vœu était sous la condition qu’à la fin de la vie de sa fille, si celle-ci n’avait pas eu d’héritier(s) il souhaitait qu’elle se défasse ainsi des trésors de sa bibliothèque. On a compris bien avant la disparition de M. de Chartres que Mademoiselle de Chartres n’attacherait jamais une vie de mère à la sienne et puis grâce à sa mémoire absolue, dont tous hors son père n’auront pas connaissance (certains s’en douteront quasi), un livre lu est aussitôt rangé complet dans sa tête : bibliothèque ad vitam !

En addendum à la fin de l’épisode, une petite histoire dans la grande nous mettra la puce à l’oreille sur la valeur que pouvait représenter un livre rare même aux yeux des plus puissants.

Un contexte toujours pas agréé comme les 1999 autres par Madame de Lafayette, et on le comprend dans celui-là ! (NDLR)

Le Collège Royal par Claude Chastillon, mais en 1612

Le Collège Royal par Claude Chastillon, mais en 1612

DE QUELQUES DONS AU COLLÈGE ROYAL¹

Lors de tes jeunes ans dans les treize à ta gorge,
Que tu aimas ici te soûler de plaisir :
Trinquer ton blond cerveau contre ceux à loisir
Par arcs de clartés qui les meilleurs savoirs forgent !

Déjà à cette époque il te semblait bancal
Tout de pierres vieillies le si docte édifice² :
« Il serait bon Henri de faire sacrifice
D’un peu de tes faveurs³ au Collège Royal ! »

Mais tu fus soulagée, et ce malgré Diane
Lorsque tu constatas que la salle d’honneur
Allait pouvoir fêter, ce ne fut pas mineur
Pour toi, ton gentil père et ses trésors d’arcanes.

Tes gens ont enfoui hier Louis de Brézé4
Grand aumônier de France et l’œil du roi icitte5
Sous tant et tant d’écrits dans la forme prescrite
D’un manuscrit souvent les rendant plus prisés.

Telle augmentation de leur bibliothèque6
Méritait mille fois qu’on couvrît sous les fleurs
L’incroyable lectrice au milieu des lecteurs ;
Trônait en bout de table inspiré un évêque.

En effet, son discours pour vous remercier,
Sobre quasi brillant presque trop plat peut-être,
Condensa bien ton père humanisant son être
Et sut louer sa fille avec de beaux lauriers.

Il le fit en latin, tu répondis de même ;
L’idiome repris en plus émoustillant
S’échangeait contre un autre à heureux escient
Pour des espaces-temps voyageant dans l’extrême.

Par ta bouche leur dit un grand cœur qui t’est cher
Tout l’honneur que lui fit dans ses apprentissages
Un Guillaume Budé d’avoir mis en partage
Son apanage en grec latin hébreu d’enfer.

Sa haute théorie de manuscrits hellènes
Monsieur de Chartres tôt eût le vœu de l’offrir
À qui dès le vivant, chercha d’en enrichir
De sa gente Maison : la Librairie, sa reine.

Dans l’assemblée, du temps on se remémora
Passé avec un noble au château7 sur la Vienne
Ensemble à deviser des progrès en antienne
D’une élève des cieux que chacun adora.

C’était avant treize ans dans ta jeunesse heureuse,
Tu les éclaboussais par ta précocité
À vaincre sans effort chaque difficulté
Qu’osaient te présenter leurs études nombreuses.

Et tu les conduisis dans quelque tabula8
Dévoilant des secrets en des lieux de lecture
Inconnus, par leur roi interdits d’ouverture
À un œil étranger, parfois au nom d’Allah.

Tu les fis saliver sans le vouloir peut-être
Ces savants : des trésors dont lumineusement
Dans leur jus initial tout amoureusement
À tes lèvres sourdaient des lignes de leur être.

Jamais l’ennui n’entra, on te félicita
Pour ta longue parole où s’échangea le verbe
Qu’un retour au latin pour qui n’eût pas de l’herbe
Foulé son loin pays toujours elle enchanta.

Ils t’ont beaucoup suivi nombreux parmi ces maîtres
En France en Italie et te suivront encor
Dans des réunions en présence du corps
Le plus puissant des fois : « le protecteur des Lettres9 ».

Sous la cape10 qui sut si bien les protéger
Antan d’inquisiteurs et ton âge et ton sexe
Avant tout, t’habillaient, à rendre un peu perplexe
Qui te connaît plutôt, des habits sans danger.

Sur le retour tu respiras dans ta voiture :
« Il faut en profiter comme il m’en a semblé
De cet instant autour de tant d’hommes assemblés
Où l’on mit un cerveau plus qu’un cul en pâture. »

Ô la blonde jolie, te tromperais-tu ? — Hem !
On te vit près de Troie en Hélène connue
Et de Jérusalem en Sulamite11 nue,
Quant à d’autres endroits pour ton conin idem.

Excepté pour un seul : lecteur en médecine12,
Las, ils n’eurent jamais à t’admirer ainsi !
Chacun pensa qu’un jour il te verrait, mais si !
À la chaire d’arabe13 occuper l’origine.

1— Sa fondation remonte à l’époque de François Ier, lorsqu’en 1530 son « maître de Librairie », le grand traducteur d’œuvres antiques Guillaume Budé, lui suggère d’instituer un collège de « lecteurs royaux », en se basant sur ce qui se fait au collège des trois langues de Louvain (latin-grec-hébreu). Des humanistes payés par le roi sont chargés d’enseigner des disciplines que l'université de Paris ignore.
2— L'inconstance de François Ier retarda la construction des bâtiments du Collège, prévus à l'emplacement de l'hôtel de Nesle, à Paris. Le projet de construction du Collège sera définitivement abandonné à la mort de Du Chastel, en 1552.
C'est sous le règne d'Henri II en 1551 que le Collège Royal occupe son emplacement actuel, d'abord abrité dans les Collèges de Tréguier (qui vite menaça ruine) et de Cambrai après les avoir réquisitionnés.
3— Penserait-elle à quelques faveurs pour la duchesse de Valentinois, sa maîtresse ?
4— Louis de Brézé (mort à Paris le 15 septembre 1589), ecclésiastique qui fut évêque de Meaux de 1533 à 1564 puis de 1570 à 1589. En 1556, il fait éditer un nouveau missel et grâce à l'influence de Diane de Poitiers, il est nommé Grand aumônier de France.
Son père Gaston est le frère cadet de Louis de Brézé qui épousa Diane de Poitiers.
5— Ouest de la France, Québec • Ici.
6— Jusqu’en 1530 à la mort de Budé, une quarantaine de manuscrits grecs seulement, provenant des prises de guerre italiennes de Charles VIII et de Louis XII, étaient conservés à Blois.
Des efforts considérables sont déployés par Pierre du Chastel qui succède à Budé, pour augmenter cette collection : grâce à des achats et des copies, en France et surtout en Italie, ce sont deux cent soixante-dix livres grecs qui sont comptabilisés en 1544, ce qui en fait de loin la plus belle collection de ce type au nord des Alpes.
Le déménagement en juin 1544 de la librairie royale de Blois à Fontainebleau est un événement déterminant. Elle est précédée ou rejointe par l'ensemble réuni par Du Chastel pour le Collège et, sans doute, par une bonne partie des collections personnelles du roi (dont la bibliothèque italienne)... donc notre Princesse sait déjà que ses livres vont se retrouver très vite à Fontainebleau, plus tard un épisode nous la montrera là-bas proches d’eux avec…
7— Votre château de famille au-dessus d’Angoulême où tu y grandis un peu Princesse de Chabanais et où tant de savants de passage, invités par Monsieur de Chartres y séjournèrent afin de te délivrer le meilleur de leur savoir, il en est parmi les lecteurs qui viennent de t’accueillir.
8— La Tabula d’une bibliothèque à l’époque pouvait être son catalogue imprimé.
9— À la suite de François Ier, Henri II son fils naturellement.
10—Elle a remis la même cape qui servait à la dissimuler un peu lorsqu’elle se rendait ici vers ses 13-14 ans, elle lui va toujours, la blonde aux yeux bleus était tellement grande déjà !
11— La Sulamite est un personnage du Cantique des Cantiques, une jeune fille nommée Abisag qui dormait avec le roi David sans avoir avec lui des relations sexuelles.
12— Jacques Goupyl qui succède à Jacques Dubois en 1555 pour la chaire de médecine du Collège Royal.
13—On ne créa cette jolie chaire d’arabe qu’à la fin du xvie siècle pour un Arnoult de Lisle avec le titre de « lecteur et professeur de langue arabique ». Son père vint parfois au Collège Royal faire quelques conférences dans cette langue comme sa fille plus tard.

Hélène vue par Milo Manara

Hélène vue par Milo Manara

Dessin de George Barbier sur le Cantique des Cantiques

Dessin de George Barbier sur le Cantique des Cantiques

Jacqueline Vons, Docteurs et Lecteurs royaux en médecine (extraits)

C’est à la fin de l’année 1529 que François Ier décida de concrétiser l’institution qu’il avait promise de longue date pour l’enseignement des disciplines humanistes. Le recrutement des premiers « lecteurs royaux » au Collège est attesté par plusieurs documents à partir de 1530. La médecine ne figurait pas parmi les premières disciplines enseignées ; à la suite d’un concours de circonstances particulier, le premier titre de lecteur royal en médecine fut attribué en 1542 à Guido Guidi, un médecin et chirurgien florentin venu présenter à François Ier un projet éditorial de grande envergure.

Né le 10 février 1509, lié à la famille des Médicis, Guido Guidi (1509-1569) avait fréquenté les milieux médicaux et humanistes de Florence avant de servir à Rome comme médecin du cardinal Niccolò Ridolfi, petit-fils de Laurent le Magnifique. Parmi les manuscrits achetés en 1492 par l’humaniste Janus Lascaris pour le compte de ce dernier, figurait un codex chirurgical byzantin, le Codex de Nicétas, qui servit de modèle à plusieurs manuscrits. Ridolfi confia à Guido Guidi la transcription et la traduction en latin du texte ; il en résulta deux superbes manuscrits, issus de l’atelier de Christopher Auer à Rome entre 1539-1541, illustrés par Francesco Rossi dit Salviati et ses élèves. Ayant appris que le roi François Ier encourageait la publication de textes antiques inédits, Ridolfi lui fit offrir les manuscrits au printemps 1542, par l’intermédiaire de Guido Guidi, en même temps qu’il lui envoyait une lettre de recommandation de l’archiatre pontifical Andrea Turini pour le jeune chirurgien. Le roi autorisa Guidi à publier la traduction latine de ces textes chirurgicaux et lui donna les titres de « médecin ordinaire du roi » et de « lecteur royal en médecine » ainsi que quelques revenus ecclésiastiques pour financer l’entreprise. Guidi se retrouva donc médecin du roi par quartier, placé sous la tutelle du premier médecin Louis de Bourges. Le 2 août 1542, ce dernier lut à l’assemblée des docteurs de la faculté de médecine de Paris les lettres royales autorisant Guido Guidi à lire et à commenter sa traduction du De vulneribus capiti d’Hippocrate ; à contre-cœur, les docteurs obtempérèrent au désir du roi ; en septembre 1452, Guidi commença ses cours dans les bâtiments du Collège de Cambrai, et se déclara très satisfait de ses deux titres et émoluments. Logé comme un certain nombre de ses compatriotes dans l’hôtel du Petit-Nesle grâce à la protection et à l’amitié du sculpteur et orfèvre Benvenuto Cellini, il y rencontra l’imprimeur Pierre Gautier. Superbement illustrée, la Chirurgia de Guidi sortit des presses de Gautier en mai 1544, avec les privilèges accordés par le pape Paul III, le roi François Ier et le duc de Ferrare, et précédée d’une épître où Guidi faisait l’éloge de Pierre du Chastel, protecteur des lecteurs royaux . Nommé « lecteur du roi » par la seule volonté de ce dernier, Guido Guidi renonça à sa charge de lecteur royal à la mort de François Ier en 1547 et proposa ses services au duc Côme de Médicis dont il devint le médecin personnel, en même temps qu’il enseigna la médecine et la philosophie à l’université de Pise. Il mourut à Pise en 1569.

Cette nomination a suscité de nombreuses interprétations. On a tenté a posteriori de présenter Guidi comme un médecin de grand renom invité en France pour donner des cours : « Il faut dire de ce grand et illustre professeur, premier de ce bel Ordre et Liste des célèbres Lecteurs du Roy en Medecine instituez à Paris : Vidus venit, Vidius vidit, Vidus vicit : car il vint avec honneur, en estant requis ». Mais, ainsi que le démontre clairement Mirko D. Grmek, cet éloge ne résiste pas à l’examen des faits : la décision de François Ier peut s’expliquer autant par le goût du roi pour la Renaissance italienne que par le plaisir de voir son nom associé à un très beau livre et peut-être par le désir de contrarier l’école de médecine en ne choisissant pas un des grands maîtres (par exemple, Guinther d’Andernach, Jean Fernel, Jacques Du Bois dit Sylvius) comme premier lecteur royal en médecine.

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